Cet écrit est l’introduction à un recueil d’articles publié par Gestalt-Académie en 1994, il est également paru en 2006 chez L’Harmattan dans Le thérapeute en tant qu’artiste .

J’ai récemment animé un groupe de Gestalt-thérapie au sein duquel deux personnes s’affrontaient à propos d’un problème les divisant. Un nouveau membre du groupe avait l’air craintif et demanda : « que faire » …, « c’est le silence », cette personne disait être troublée. « Le silence », dis-je au groupe, « est un berceau constitué d’une sorte d’armature primitive dont chacun de vous est un élément. » … »Vous avez tous ensemble créé ce berceau de silence pour contenir deux personnes en conflit et pour leur fournir un support. » Cette image apaisa tout le monde et, alors que nous étions assis ensemble, je réalisai la vertu et le caractère sacré du silence parmi nous. Le silence cristallin « soutint » les cris qui suivirent. Il créa un filet pour ces personnes qui étaient en colère et, plus tard, il les aida à se réconcilier.

Les cris et le silence, le conflit et la paix intègrent ensemble dans un groupe les forces provocatrices, et évocatrices.

La Gestalt-thérapie n’est pas seulement un art, mais, à son apogée, dans sa forme la plus pure, elle est une pratique soutenue par la présence d’un esprit, d’un dieu parmi nous. Le contact remplit l’espace entre nous en une union primitive. Cette union touche toute l’étendue des rapports humains tels que pleurer, crier ou être simplement assis ensemble. Le contact n’est pas la construction artificielle d’une manipulation – il émerge d’une profonde acceptation contemplative de notre dilemme humain d’être au monde. Le dilemme est vécu différemment par chacun et doit être vu et ressenti par les autres, avec respect, voire vénération.
En vieillissant (je viens d’avoir soixante ans) je me trouve aussi attiré par une position de retrait, de contemplation, d’intériorité et de silence, comme je l’ai été par l’excitation, la mobilisation de l’énergie, le mouvement (et sa choréographie) et le contact. Expérimenter le silence et le calme, c’est tout aussi enrichissant qu’expérimenter le mouvement, les cris qui réclament de l’aide et du contact.

Ces articles ont été écrits sur une période de vingt ans (ou plus), et reflètent ma lutte à devenir un être mature et mon chemin en tant que thérapeute.

Je remercie Dominik Reinecke et Elaine Tournesac et les collaborateurs de Gestalt-Académie de leur intérêt pour mes idées et mon travail.

Joseph Zinker

Cleveland, décembre 1993

Joseph Zinker, 2004

LE THÉRAPEUTE EN TANT QU’ARTISTE
L’Harmattan, Paris, 2006

Voici un extrait de ce recueil d’articles :

GESTALT-THÉRAPIE : LA PERMISSION D’ÊTRE CRÉATIF (1974)

Louange de l’expérimentation en Gestalt-thérapie

Si Fritz était encore vivant, il serait déçu de voir beaucoup de petits esprits répéter son travail comme des perroquets comme si, en psychothérapie, le dernier mot était déjà dit. Beaucoup parmi nous n’ont pas eu le courage de tirer un enseignement de son sens de l’invention, de sa capacité à créer un enseignement saisissant quelle que soit la situation. Pour Fritz le « hot seat » ou le « top-dog-underdog » étaient des insights du moment qui devaient être explorés, mis de côté ensuite, pour être remplacés par d’autres expérimentations et concepts. Comme tout grand artiste il se nourrissait du processus de ses propres énergies créatives. Une fois terminé, un tableau ne stimule plus beaucoup parce que le suivant est plus à propos et plus excitant. Si la Gestalt-thérapie est amenée a survivre elle doit représenter ce processus de croissance intégratif, ce genre de générosité créative. Elle doit assimiler les nouvelles découvertes sur le plan musculaire, au niveau des origines archétypiques, de nos premiers cris, pour en faire des découvertes originales. Si nous, enseignants de cet art, oublions ce principe fondamental d’expérimentation créative, de développement de nouveaux concepts à partir de nos prises de risques et d’un courage inébranlable, alors la Gestalt-thérapie mourra avec le reste des lubies thérapeutiques contemporaines. Fritz nous a donné un exemple incarné d’un esprit incroyablement imaginatif.

La Gestalt-thérapie est vraiment une permission d’être créatif. Notre outil méthodologique de base est l’expérimentation. L’expérimentation vise le cœur de la résistance, elle change et transforme la rigidité d’une personne en système de support souple. L’expérimentation est une approche comportementale qui permet d’aller vers un fonctionnement nouveau. On peut s’en servir pour aider une personne à contacter ses polarités aveugles, son « ombre », ou à amplifier son comportement original. Il ne faut pas que l’expérimentation soit importante, sérieuse, il ne faut même pas qu’elle soit parfaitement ajustée – elle peut être théâtrale, joyeuse, folle, transcendantale, métaphysique, pleine d’humour. L’expérimentation nous permet d’être prêtre, putain, pédé, saint, sorcière, sage, magicien, et toutes les choses, existences et idées qui se cachent en nous. L’expérimentation ne doit pas avoir pour point de départ le concept – elle peut cheminer du simple plaisir de jouer à de profondes révélations conceptuelles.

Un groupe avec lequel je travaillais, transforma une simple chanson de Noël en une sorte de chorale de Bach. Thérapeute et participants n’étaient pas pleinement conscients de l’impact imminent de ce travail, mais quelque part ils savaient qu’ils avaient créé quelque chose de beau qui transcendait leurs propres limites personnelles. La Gestalt-thérapie est la permission d’être exubérant, d’avoir de la grandeur, de jouer avec les possibilités les plus belles qui nous sont données dans la brièveté de nos vies. L’expérimentation est d’une grande efficacité en groupe, parce que portée par la variété créative de l’ensemble d’une communauté. Personne ne s’épuise, chacun est nourri. La Gestalt-thérapie n’est pas la répétition routinière de prières conventionnelles à la fin d’une journée. Pour moi, elle englobe tout ce qui est devant moi, tout ce qui promet une plénitude de l’expérience, tout ce qui apparaît et qui est impressionnant, effrayant, ce qui fait pleurer et nous émeut, ce qui est étrange, archétypique, ce qui nous fait grandir. Elle représente pour moi l’étreinte complète de la vie – qui permet de savourer tous ses goûts subtiles.